L’art est un thème qui revient régulièrement dans la SF. Certes la SF invente un certain nombre d’arts nouveaux, des démiurges qui créent de véritable monde dans la nouvelle les Faiseurs de monde de Jack Vance aux tableaux univers des Voleurs de silence de Jean Claude Dunyach. L’innovation artistique est donc bien loin de l’art conceptuel post duchampien pour la majorité des auteurs de SF qui ont traités le thème de l’art. La peinture a encore droit de cité que ce soit dans l’Oeil du peintre d’Elisabeth Lynn ou encore dans la Belle Ténébreuse de Mike Resnick ( où l’on comprend que l’art n’est pas réservé aux humains. Faire d’un extraterrestre l’un des meilleurs critiques de l’art de l’humanité peut par contre passer pour une manière d’égratigner le monde des critiques). Mais l’art contemporain en lui même est bel et bien mis en scène par quelques auteurs,thématique rare certes, mais présente. J’ai retenu trois exemples significatifs d’œuvres qui le mettent réellement au cœur de leur problématique.
L’art contemporain peut avoir une acception positive. C’est le cas chez Samuel Delany. Dans son roman Triton il évoque une forme d’art total mêlant spectacle vivant et conception plastique. Même si sur le fond l’on est réellement dans une forme de théâtre, il est quand même question d’une véritable expérience sensorielle créée sur mesure pour un moment donné et des spectateurs donnés. L’on est pas loin des happenings. Et le fait que cette œuvre date du début des années 70, n’est sans doute pas étranger à cette vision. A l’époque le happening était considéré comme un élément de la contre culture à l’instar du rock’n roll ou de la SF elle même. Donc l’on reste dans le continuum de la contre culture dans une œuvre décapante de par sa modernité et ses visions sociétales. La vision de que Delany a de l’AC est naïve et bien loin de l’art financier international qu’est devenu l’art contemporain aujourd’hui.
Par contre dans la Malédiction de l’Ephémère de Richard Canal, roman mêlant univers apocalyptique et critique du marché de l’art, la vision de l’art contemporain se fait plus virulente. Disparue la complaisance dont pouvait faire preuve la contre culture des années 70. Place à une vision sans concession. Dans cet univers des expéditions vont dérober des œuvres créées par des peintres vivant dans des zones irradiées et ensuite ces trafiquants vont les attribuer à des individus sans talents qui s’en attribuent le mérite de la paternité et surtout qui gagnent énormément d’argent. On a la une vision assez intéressante d’un marché de l’art où l’originalité ne paie pas et où les individus talentueux restent dans l’ombre. Le commercial a remplacé l’artiste.
Mais la critique la plus violente de l’art contemporain est sans doute celle d’Enki Bilal dans sa série de BD, le sommeil du monstre. Il nous présente un artiste qui n’hésite pas à commettre des attentats qui sont autant d’œuvres. Et malgré les cadavres qui s’accumulent pares chaque performance de l’artiste il y a des pseudo amateurs qui s’extasient ( ne pas oublier les propos de Stockhausen à propos du 11 septembre). Bref nous avons là une conception diamétralement opposé à celle de Delany du happening. A force de transgresser les limites et d’aller toujours plus loin l’art contemporain conduit à la barbarie. Bilal montre ainsi que cette forme d’art n’est pas de l’art mais un véritable acte de brutalité contre la société. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si Bilal met en parallèle l’art contemporain et l’obscurantisme religieux dans l’œuvre : ce sont deux formes de violence intolérable. D’ailleurs pour l’auteur la frontière est mince entre le happening et le terrorisme.
On le voit la perception de l’art contemporain a évolué dans les œuvres de SF. De la vision positive et ouverte amené par le bouillonnement intellectuel post 68 jusqu’à la prise de conscience que le roi est nu et qu’il s’agit d’une forme de violence contre la culture.