Arnauld Pontier est un auteur assez atypique dans le milieu SF, ne serait ce que parce qu’il a commencé dans la littérature générale avant de basculer vers la SF. Un interview pour mieux le connaître.
– Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis né en France (à Valenciennes), mais j’ai passé mon enfance et mon adolescence à l’étranger, principalement au Laos, puis en Algérie, avant de rejoindre les Hautes-Alpes, puis Paris, après mes études universitaires.
J’ai exercé différents métiers et pas mal voyagé, avant de participer à la création des éditions Paris-Musées, que j’ai dirigées de 1990 à 2013.
Depuis, je réside en Haute-Savoie et je me consacre à d’autres activités, notamment d’écriture et d’édition, et j’enseigne certains arts internes chinois, comme le Tai Chi Chuan et le Qi Gong.
– Comment es-tu arrivé à l’écriture ?
J’ai commencé à écrire à l’âge de quatorze ans, de la poésie – alors que mes lectures se limitaient à Marvel, à Strange et à Bob Morane. Sans doute pour exprimer par écrit ce que je n’arrivais pas à dire de vive voix, pour vivre quelque chose d’autre que mon quotidien, qui était tout sauf confortable.
– Tu as commencé par la littérature générale (et notamment le roman historique), qu’est ce qui t’a poussé à écrire de la SF ?
Mes premières lectures, je l’ai dit, n’étaient pas de la littérature générale. J’ai quasiment appris à aimer lire dans les comics et dans la « bleue et blanche » de Fleuve Noir. De la SF, donc, qui – les jeux vidéo n’existaient pas, il faut le rappeler – me sortaient de mon quotidien. Sans la SF, je crois que j’aurais mal tourné !
Le fait que j’ai commencé par écrire de la littérature générale est, paradoxalement, à cause de… la SF : je ne me sentais pas « prêt » à égaler Sturgeon, Asimov, et les autres « grands » que j’admirais. En revanche, je me sentais à l’aise dans l’univers du XIXe siècle, presque aussi « exotique » que ces avenirs peuplés de super-héros et d’extraterrestres qui étaient mes livres de chevet. Me confronter à des hommes d’un autre temps, comme Zola, Balzac, Flaubert, et à leur société m’effrayait moins : j’avais une trame, historique, stable, sur laquelle bâtir mes histoires ; je n’avais pas à tout inventer !
Si je suis arrivé à la SF, c’est assez tard dans mon parcours, après plusieurs romans classiques. Des romans qui m’ont permis de « digérer » mon enfance. La Treizième cible, chez Actes Sud, qui a obtenu le prix Marguerite Yourcenar en 2004, est en partie autobiographique. La Fête impériale également, dans une moindre mesure.
Bref, je suis arrivé à la SF lorsque j’ai suffisamment eu confiance en ma capacité de faire rêver, de bâtir un univers complet, sans les béquilles de l’Histoire. Et libéré de mes traumatismes.
– Tu viens de terminer la trilogie F.E.L.I.N.E., qui regorge de références au pulp et à la pop culture. Peux-tu nous en dire plus sur ta relation avec les cultures médiatiques et notamment la bande dessinée, les comics, le manga.
J’ai fait mon apprentissage de la lecture avec les Marvel et autres DC. C’est un univers qui me procurait de la joie. J’avais besoin de privilégier cette joie. J’étais preneur de tout ce qui me faisait plaisir, rêver.
Ma petite enfance, en Asie, m’avait apporté, comme « compagnons », les premiers jouets modernes japonais de SF : le robot Super Astraunaut, Godzilla, Astro Boy, des fusées (en ferblanterie, comme on disait). Le cinéma, également, m’avait déjà formaté : dans les salles de Vientiane (la capitale du Laos), il n’y avait guère que des films asiatiques, reprenant ce bestiaire de monstres et de créatures artificielles. Dans ces salles, je fuyais mon quotidien.
Quant aux illustrés, même s’ils étaient en japonais, ils étaient du même acabit. J’aimais beaucoup la jeune et belle androïde Cutie Honey (Cherry Miel, en France) : la « guerrière de l’amour ». Un manga de Go Nagai, devenu une série d’animation (en 73), puis un film (en 2004). Ma F.E.L.I.N.E lui rend un peu hommage.
De retour en France, c’est tout naturellement que je me suis jeté sur les BD, comics et revues ! Les 70’s étaient des années fastes pour ce mode d’expression imaginaire. Barbarella, Les Naufragés du temps, Le Scrameustache, Valérian, voici pêle-mêle ce que je lisais. Et puis Pilote, Galaxie, Fiction, 2000AD (qui publiait Judge Dredd !) et, par la suite, Metal Hurlant sont arrivés, avec Moebius, Druillet ! A cette époque, j’ai également découvert Yoko Tsuno, et, bien sûr, bien que plus anciens : les Blake et Mortimer, Flash Gordon et Les Pionniers de l’espérance… (Plus tard, dans les années 80’s et 90’s, j’allais m’abonner à BD Mag, à USA Magazine…)
J’avais également, en arrivant en France, découvert la télé : je crois que (avec Thierry la fronde), ce sont Les Envahisseurs, Le Prisonnier, puis Conan, de Miyazaki, qui m’ont accroché. Ensuite, évidemment : Albator, Cobra, Cosmos 1999, Aux Frontières du possible…
Côté cinéma (les progrès de la technique aidant), c’était l’âge des premiers chefs-d’œuvre de SF : THX 1138, La Planète des singes, Abattoir 5, Le Survivant, Soleil Vert, La Guerre des étoiles, Zardoz, Rencontres du troisième type, L’Age de cristal, Rollerball, Alien… on pourrait en citer des pages entières. Dans une société de plein emploi qui prônait la liberté, l’amour, la paix, et s’opposait à la morale « parentale », il fallait bien se faire peur !
Nous ne savions pas que notre combat, nos revendications, déboucheraient sur cet « aujourd’hui », plus proche de ces fictions alarmistes que de nos espérances…
– As-tu l’intention de revenir vers le pulp plus tard que ce soit en roman ou en nouvelle ?
Il est certain que je réécrirai du pulp : le pulp est fait pour réjouir, et nous en avons bien besoin. Sans doute en nouvelle, dans un premier temps. Car je suis encore dans l’univers de ma F.E.L.I.N.E., puisque, pour l’Intégrale de ma trilogie, qui paraîtra en avril 2020 chez Rivière Blanche, je viens de rédiger un quatrième opus inédit : un texte axé sur le personnage de Noor-Jaan, le Lyxien : l’homme félin.
Si je me lance dans un nouveau roman pulp, il faut que je puisse me détacher de cet univers, dans lequel je baigne depuis quatre ans et auquel, je l’avoue, je me suis attaché.
Comment faire mieux ? Autre ? Nouveau ? N’est-ce pas la pensée qui taraude tout auteur qui termine un bouquin ?
– Quels sont tes prochains projets littéraires ?
D’abord faire rééditer, revue et corrigée, ma trilogie Agharta, qui a paru chez Asgard, en 2013, quelques mois avant que la maison ne ferme ses portes.
Ce livre n’a pas eu le temps d’être diffusé, de trouver son public. Je crois qu’une nouvelle édition – un volume par an, sur trois ans, avant d’en faire une « intégrale » – trouverait ses lecteurs, car le sujet de « la terre creuse », des intraterrestres, a été peu exploité.
Il y a quand même une série de mangas sur le sujet, me direz-vous… C’est exact : signés Matsumoto Takaharu. Il y a également eu Valérian, Blake et Mortimer… Et, en romans : Verne, E.R. Burroughs, Lovecraft… Mais il y a encore de la place pour de l’inédit !
Ensuite, je vais m’atteler à un nouveau roman de SF – un space ou un planet-opera. J’aimerais trouver une approche originale. Sinon, à quoi bon écrire un livre de plus ? Je réfléchis, donc, sans me presser. Je suis à la retraite depuis peu, alors j’ai tout le temps !
Mais ma première actualité, à venir, est la publication, au printemps 2020, d’une novella, chez 1115 (l’éditeur de mon récit de voyage Sur Mars) : un post-apo un peu particulier. Son titre : Dehors, les hommes tombent. Les exigences qualitatives et le travail éditorial de cette « agence de voyages littéraires » me plaisent énormément. C’est un éditeur à part. Vraiment. J’espère faire un bout de chemin avec lui.
Comme j’espère que Rivière Blanche poursuivra longtemps sa belle aventure éditoriale : tellement de jeunes auteurs d’Imaginaire francophones lui doivent d’avoir été publiés !