La SF et la société de l’information

La société de l’information qui se développe depuis quarante ans transforme radicalement nos vies rendant les vieilles idéologies issues de la société industrielle inadaptées à résoudre bon nombre des problèmes que rencontre aujourd’hui l’occident. Il serait bon de s’interroger pour savoir si la science fiction en tant que littérature d’idées a été capable d’inventer des innovations sociétales et de voir si elle a été capable d’agir comme un laboratoire de la pensée.

En 1974 paraît Triton de Samuel Delany. Dans ce roman la société des habitants des Lunes du système solaire a été capable de créer un modèle de société en rupture totale avec celui des habitants de la Terre : il existe un revenu inconditionnel de vie, les gouvernements font appel au crowdfunding pour financer leur politique. On trouve même des structures originales au niveau de l’habitation, les célibataires résident dans des foyers qui sont à la fois des structures de logement et des véritables lieux de vie collective, seules les familles ont accès aux maisons individuelles. Delany va même jusqu’à explorer dans son roman le futur possible de la culture et les évolutions possibles du spectacles vivant dans une société en réseau. Delany pousse très loin la réflexion, on le voit. C’est un auteur plutôt à gauche et qui n’ignore pas les théories sociologiques et économiques les plus audacieuses de son temps. Il oppose une vision généreuse et libertaire de la société de l’information aux sociétés postdémocratiques. Le fait que ce romans sort en quasi concomitance avec les premiers travaux de Daniel Bell rend ce roman plus que symbolique et visionnaire.

Les années 70 c’était effectivement le temps des utopies. Les exemples sont nombreux. Citons par exemple le roman de Norman Spinrad, Le Chant des étoiles où l’auteur américain campe une société post apocalyptique qui se reconstruit autour des énergies renouvelables et de l’hédonisme. Hédonisme, le mot est lâché. C’est une des grande constante de ces utopies écologiques des années 70, loin du réalisme politique de Delany. On évoque l’adoption des énergies renouvelables mais c’est pour mieux condamner le nucléaire. Il s’agit plus d’ oeuvres militantes que de véritables construction de nouveaux possibles s’appuyant sur les travaux des sociologues et des prospectivistes de leur époque. D’autant qu’une majorité des oeuvres préféreront prendre la forme de la contestation sociale que de la création de nouveaux modèles de sociétés.

Les années 80 n’arrangeront rien à l’ affaire et avec le cyberpunk, la critique sociale des structures de la société industrielle devenant la voix majeure de l’expression des auteurs traitant du futur proche.

Les années 90 continueront sur cette lancée, les oeuvres détonnant par leur propos plus optimiste se faisant rare. Il nous faut donc aborder les Futurs Mystères de Paris de Roland C Wagner, qui par leur teneur hurlent que le néolibéralisme n’est pas une fatalité et que d’autres voies sont possibles. Roland C Wagner a voulu écrire justement un récit se déroulant dans une société optimiste et positive car il a pris conscience que ce type de message était plus que rare dans une science fiction dominée par des critiques sociales sombres et pessimistes. Dans l’univers des Futurs Mystères de Paris si les grandes multinationales existent (elles sont appelées technotrans et sont toutes d’origine asiatique), les structures sociétales de cette France de la fin du 21éme siècle limitent leur pouvoir. La structure de base de la société est en effet la tribu : un groupe humain qui se caractérise par le partage de valeurs socioculturelles communes ou parfois d’un mode de vie particulier. On imagine l’énorme balkanisation du marché que doivent représenter l’existence de plusieurs centaines de ces tribus, chacune avec leurs propres médias et leur propre mode de consommation. Mais il faut bien comprendre que dans une France et même une Europe où la classe moyenne représente la grande majorité de la population le concept de classe n’a plus guère de valeur. Notons que nous avons une société ou chercheurs et artistes jouissent d’un grand respect dans la population et où la créativité est à tous les coins de rue. Pour bien comprendre le propos de Wagner, il faut savoir que d’une part cet auteur très à gauche s’est toujours senti proche des idéaux de la Commune de Paris et que d’autre part il a toujours voué une fascination pour le rock’n roll. Pour lui le rock’n roll est plus qu’un mouvement musicale ou même qu’une éthique de vie, c’est une véritable modèle social. Il considère rock’n roll comme l’une des trois révolutions socioculturelles du vingtième siècle (les deux autres étant la science fiction et l’apparition des drogues récréatives). Le rock n’roll musique sans cesse réinventée porteuse de créativité, qui donne naissance à de nouveaux courants est sans doute une des apports importants à la construction de la société de l’information. En tout cas Roland C Wagner en est lui persuadé.

Les oeuvres comme celles de Wagner sont rares. On peut signaler la trilogie africaine de Richard Canal où l’auteur imagine un futur positif de l’Afrique, où le continent noir se reconstruit autour des technologie de l’information et de la communication. Kathleen Ann Goonan a elle écrit plusieurs romans où elle décrit les évolutions positives pour la société de l’apport des nanotechnologies. Mais dans ces deux cas les évolutions sociétales ne sont considérées que comme dérivés des évolutions technologique comme si la société de l’information était avant tout centrée sur les technologie alors que ce sont les concepts de réseau, de système complexe et de synergie qui la définissent.

Devant la pénurie de texte montrant des évolutions sociétales positives (les années 2000 ont vu une recrudescence de la dystopie et des anticipations les plus pessimistes), l’anthologiste Jetse de Vries a lancé son anthologie Shine, destinée à présenter des textes présentant des visions positives du futur proche. Dans la foulée il a également lancé l’éphémère webzine, Daybreak Magazine qui devait prolonger le travail de cette anthologie. L’anthologie a été publié en 2010 et est devenue une anthologie majeure de ces dernières années. De Vries souhaitait publier prioritairement des nouvelles donnant la part aux aspects sociétaux de la société de l’information. Cette approche positive de Vries s’y est intéressé et l’a trouvé chez des auteurs Philippins, Sud Coréens, Brésiliens ou Isreliens. Mais l’on remarquera que les Sf européenne et nord américaine sont celles justement qui ne donnent pas ces fruits là. L’impact des trente glorieuses et de leur croissance industrielle qui a reconstruit des sociétés exsangues après la deuxième guerre mondiale et la crise des années 30 n’est sans doute pas étrangère à cette absence du traitement positif de la société de l’information. Il est symptomatique des les spéculations de Daniel Bell ou plus récemment de Richard Florida ne soient pas venu nourrir le laboratoire d’idées formidable qu’est la science fiction, celle ci préférant développer les visions les plus sombres du futur. De même le développement de l’économie collaborative et de l’économie sociale et solidaire n’a donné aucun grand texte de science fiction. Les choses sont en train de changer. Jetse de Vries n’est pas seul à essayer de la changer la vision des choses. Récemment un kickstarter a été lancé à propos d’une anthologie concernant les solutions au réchauffement climatique. En France le Club Présence d’Esprit a décidé de faire un appel à texte pour un numéro spécial de son fanzine éponyme où l’on parlerait des visions optimistes du futur, une démarche qui ressemble à s’y méprendre à celle de Jetse de Vries. Ces tentatives sont bien timides certes mais montre un changement d’état d’esprit d’une partie du milieu de SF.

Pour finir cet article penchons nous sur la science fiction traitant du futur lointain. Et bien, comme une agréable surprise même les auteurs de l’âge d’or ont émis des idées révolutionnaire à même de faire évoluer la société. Chez Jack Vance, la monnaie utilisée dans la société galactique de l’Aire Gaïane, le Sol est également appelée Unité Standard de Travail. La valeur d’un Sol étant égal à celle d’une heure de travail d’un travailleur non qualifié. Cette indexation de la monnaie sur la valeur travail plutôt que sur des variables financières est une idée qui pourrait être qualifiée d’iconoclaste. Mais Vance ne va pas plus loin et n’évoque jamais le fonctionnement du système économique qui le sous tend. Tout juste sait – on qu’il s’agit d’un système capitaliste d’apparence classique. Chez Vance la monnaie est un des rares éléments d’unification des mondes de l’aire Gaïane. Les organisation unificatrices sont rares et ne s’occupent que de domaines précis : la police (la CCPI), les transports, (la corporation Jarnell), l’écologie (la société naturaliste) et relèvent toutes du secteur privé. D’ailleurs les mondes décrit par Vance sont organisés très souvent selon un modèle qui rappelle le modèle du bazar de Eric S Raymond. La plupart d’entre eux sont hyper décentralisés, ce qui est normal, Vance nous présentant des juxtaposition de populations qui bien souvent ne partagent rien en commun et qui doivent coexister. La décentralisation est le seul moyen de faire bénéficier à une planète entière d’un modus vivendi. Notons que Vance a dès ses textes des années 60 doté sa galaxie d’un réseau d’information nommé le SUCT et qui préfigure internet et que les artistes, les créateurs et les entrepreneurs ont une place prépondérante dans son univers. Toujours chez les auteurs de l’âge d’or Ursula Le Guin décrit dans Les Dépossédés, une planète doté d’une société anarchiste qui fonctionne plutôt bien. Mais l’exploration de l’anarchie a été poussé à l’extrême par Iain M Banks. Avec la Culture, il dépeint une société libertaire et hédoniste à grande échelle, où chacun peut créer son utopie personnelle. Mais cette société s’est doté tout de même d’institutions pour se défendre et se protéger. Certes les explorations de Le Guin et de Banks renvoie au fait que la société ne peut que devenir plus libertaire en quittant les rivages de la société industrielle, constat fait également par Samuel Delany dans Triton.

Pour conclure, nous constatons que les auteurs qui ont effectivement traité de la société de l’information sont une minorité dans le domaine de la science fiction. Là où le genre a apporté beaucoup dans le domaine des spéculations technologiques, anticipant des objets qui font partie de notre quotidien comme le micro ordinateur ou le téléphone portable, il a été incapable d’anticiper les changements sociétaux que nous connaissons aujourd’hui. Comme si les auteurs de SF étaient attachés viscéralement à la société industrielle et que leur vision d’une société positive était celle des trente glorieuses la technologie en plus. Cette absence d’accompagnement des bouleversement du monde est sans doute la cause de la méfiance d’une partie de la société (à commencer par les politiques) vis à vis de ceux ci. Curieusement le fait que la science fiction ait, à l’exception d’une poignée d’auteurs , vécu dans le déni de la société de l’information est cause du rejet du genre par les jeunes générations, celles ci lui reprochant un pessimisme excessif.

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