Jean Christophe Gapdy, un auteur en phase ascendante

Fabien Lyraud for Amazing Stories: 1 – Peux-tu présenter ton parcours d’auteur ?

Jean Christophe Gapdy: En peu de mots ? Récent, chaotique et amusant.

Mais en plus détaillé, j’ai commencé à écrire vers 15 ans et je n’ai jamais arrêté, par simple plaisir et envie, sans trop oser franchir le pays au-delà de très timides tentatives pour approcher des éditeurs. Je n’ai fait de réelle incursion vers l’édition qu’en 2013, ce qui a conduit à la parution en 2015 du recueil « Aliens, vaisseau et Cie », des nouvelles écrites dans l’univers des faux-semblants à la Philip K. Dick. Ce n’est qu’après quelques « duels » de nouvellistes dans le Fanzine du Nouveau Monde, l’année suivante, que j’ai tenté de passer des nouvelles et novella au roman. L’un des récits pour Nouveau Monde m’a permis d’étoffer « Les Gueules des Vers » et la création de l’Univers de SysSol ; un autre m’a amené à donner une vie un peu plus agitée à Gerulf dans « La Reine du Diable Rouge », au sein du même Univers syssolien.

L’un et l’autre de ces romans vont avoir leur suite d’ici peu. Les Vers pour la fin de cette année, toujours chez Rivière Blanche ; Gerulf, ce sera sans doute fin  2020 , toujours chez Pulp Factory, bien évidemment. Je vais me permettre de mettre de côté d’autres textes qui tournent autour d’un Univers très différent, mais j’espère avoir l’occasion d’y revenir dans quelque temps.

Tout cela s’est fait grâce à des rencontres, des échanges qui m’ont amené de la production personnelle à celle que je pouvais destiner à des lecteurs, en affinant, d’abord, mon style – assez personnel, mais qui, paraît-il, se lit très bien – et ensuite mes histoires où j’apprécie de pouvoir mettre en avant aussi bien notre proche univers solaire – même si je pars assez loin dans mes récits, j’ai tendance à revenir vers notre hélios-monde où il reste encore tellement d’inconnues – que la science, la technologie et surtout les personnages dotés d’humanité et d’empathie.

Pour le reste, ledit parcours se concentre sur beaucoup de temps à lire, écrire, échanger, relire, corriger, me documenter, rerelire et réécrire, autant qu’à rencontrer, discuter, échanger et mille autres choses…

FL: 2 – J’ai parlé de francofuturisme à propos de ton œuvre. C’est-à-dire imaginer un futur positif des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Est-ce que tu te reconnais dans cette définition ?

JCG: Franchement, le mot ne m’attire guère par son côté restrictif sur la « notion de nation ». Mais le concept qu’il recouvre, en termes de fraternité principalement, me convient. Pour les autres, liberté et égalité, j’ai plus de mal à cerner ce que cela implique dans mes écrits. L’autre terme que tu avais utilisé, le hopepunk de l’autrice américaine Alexandra Rowland, m’irait presque mieux sur la formulation.

Ceci dit, j’ai effectivement une grande tendance à considérer ces notions de fraternité et de recherche d’égalité – parce qu’on en est loin dans la vie réelle – comme importante dans les mondes que je décris et les personnages à qui je donne vie, quelles que soient leurs situations et leurs conditions, qu’elle soit humaine, semi-humaine – comme les clones et bioandroïdes – ou non-humaine – comme les IA et androïde.

FL: 3 – Tu mets souvent en scène le multiculturalisme et de manière positive. Peux-tu raconter quel parcours t’a amené à traiter ce thème ?

JCG: J’ai vécu une partie de mon enfance et de mon adolescence à Sainté (Saint-Étienne dans la Loire), ancienne cité minière. Le brassage ethnique n’était pas gigantesque dans le quartier où je me trouvais, mais il existait pas mal dans ce qu’on appelle la vallée du Giers. J’ai eu l’occasion et la chance de rencontrer quelques personnes, quelques copains qui m’ont fait apprécier leurs cultures et leurs points de vue. À côté de cela, j’ai été très vite attiré par l’histoire, grâce à un professeur assez frappadingue, mais complètement génial pour m’intéresser. Il est un de ceux qui m’a fait réaliser que, de toute façon, nous étions tous des métis sur Terre, que de tout temps, les peuples ont migré par ici, par là et que les mélanges, les brassages se sont toujours faits. Si je songe uniquement à ce coin d’Europe où nous sommes, quel bout de terre n’a pas été envahi et colonisé ? Que ce soit ici par les Celtes, là-haut par les Vikings, partout par les Romains, mais aussi les Arabes, les peuples de l’Est comme les Huns ou Germains, les Grecs (Marseille a été fondée par des Phocéens), les Anglais (qui ont largement occupé l’Aquitaine), les Italiens (la Savoie leur a longtemps appartenu), etc.

À cause de cela et d’autres expériences vécues çà et là, j’ai toujours considéré que ces brassages étaient une richesse immense pour nous. Certes, pour l’heure, quand je vois ce qui se passe dans le monde, je sais que c’est un brave rêve et une utopie. J’ai encore le message étonné du correcteur de l’une de mes nouvelles dickiennes (nouvelle sombre et assez pessimiste par certains aspects que je dénonçais de ce fait) qui s’étonnait qu’en 2040, je puisse croire qu’il existait encore de la ségrégation… Eh bien, on est mal barré pour 2040, qui n’est que dans 20 ans, mais je garde quand même espoir pour aller au-delà et se retrouver ainsi mélangés.

FL: 4 – Tes récits de SF se déroulent dans le même univers qu’est SysSol. Quelles contraintes rencontres-tu dans ta quête de créer un univers cohérent dans le temps et l’espace ?

JCG: Tu as utilisé le mot-clef, celui de la « cohérence ». Cela signifie pour moi de disposer d’un dossier que je complète au fur et à mesure de mes narrations, dans lequel je pioche régulièrement pour vérifier que tel point écrit ici ne soit pas en contradiction avec tel autre écrit un an plus tôt.

Heureusement, j’ai l’habitude de gérer ce genre de choses – non pas les univers, mais les « systèmes » cohérents. Et puis, j’ai eu la chance d’avoir l’œil d’aigle de Frédéric Lebeuf qui a joué l’alpha-lecteur presque deux ans de suite, traquant certaines incohérences que j’aurais pu laisser passer, glissant parfois une idée intéressante pour améliorer ladite cohérence. Depuis, j’ai aussi créé ma propre méthode de travail autour de mes univers, avec mes propres outils qui me simplifient la vie sur ce point. Ainsi dans SysSol, je dispose d’une gigantesque timeline qui détaille chaque évènement survenu de 2030 jusqu’en 2200.

FL: 5 – Dans « les Gueules des Vers », tu joues beaucoup avec le temps. Comment as-tu réussi à ne pas t’y perdre ?

JCG: D’une part avec cette fameuse timeline que j’essaie de conserver la plus précise et la plus complète possible, d’autre part avec un logiciel que je me suis créé spécialement pour cela, me permettant de savoir, à n’importe quelle date, quels sont les personnages pouvant être présents et quels sont leurs âges, savoir combien de temps s’est écoulé entre deux évènements – donc connaitre les antériorités de chacun – et savoir qui a participé à chaque épisode de cette folle aventure.

Ensuite, les autres outils, ce sont la relecture et le papier-crayon pour noter et annoter, corriger, vérifier, etc., ainsi que l’œil d’aigle de Frédéric qui m’a bien aidé sur ce premier tome, même si, hélas, il n’a pu participer au deuxième.

FL: 6 – Tu as une formation scientifique. Comment fais-tu pour être scientifiquement exact et rester assez simple dans tes explications ?

JCG: Ne rêvons pas. Ma formation scientifique est fort lointaine et que, même si je me documente au mieux, je ne suis pas d’une totale exactitude. D’une part parce que je prends pas mal de raccourcis et, d’autre part, parce que je me projette vers un futur que j’invente à partir des connaissances que nous possédons, des travaux de recherche actuelle ou relativement récente, d’hypothèses scientifiques émises même si certaines sont encore sujettes à controverses. Je me suis énormément amusé à ces projections futuristes dans plusieurs nouvelles dickiennes d’Aliens, Vaisseau et Cie par exemple.

Ces raccourcis sont nécessaires sauf à tomber dans la hard-science pure ; or, l’objectif est avant tout de raconter une histoire pour des lectrices et lecteurs, pas de concevoir un ouvrage scientifique.

Ensuite, à part quelques cas particuliers comme Michaël Es-Den et certaines IA dans les « Gueules des Vers », mes personnages n’ont guère de compétences scientifiques. C’est le cas de Gerulf qui a été conçu pour être garde du corps autant qu’éducateur de Thomas de Lansy, et travaille plus dans l’empathie et l’empirisme, même s’il a ses propres méthodes, il manque cruellement de rigueur scientifique. Il serait incongru que ces personnages deviennent capables d’un coup, par quelque opération magique, de parler sciences, d’expliquer ou de comprendre des théories complexes dans les domaines de l’astrophysique, de la biologie humaine, de la nanotechnologie, etc.

L’idée est donc d’avoir des aspects hard-science et hard-SF, mais en restant compréhensible – pour, je l’espère, un maximum de lecteurs.

Le fait d’avoir été professeur associé en Université durant pas mal d’années, et donc d’avoir des étudiants qui n’ont justement pas la science infuse et ne vont pas comprendre des éléments très complexes d’un simple claquement de doigts, m’aide pas mal de ce point de vue. Simplifier un peu est d’autant plus important que mes histoires sont par elles-mêmes touffues avec des kyrielles d’évènements, fort peu de temps morts – ou pour reprendre une expression que l’on m’a prêté : un rythme endiablé – et de nombreux retournements de situation qui s’enchaînent, que ce soit les voyages spatio-temporels dans les Gueules de Vers ou l’enquête policière de la Reine du Diable Rouge.

FL: 7 – Comment juges-tu la SF française d’aujourd’hui ?

JCG: Je ne la juge pas, mais je ne juge pas plus la SF anglo-saxonne ni aucun autre genre de littérature d’ailleurs. En outre, mon intérêt ne se limite pas à la SF ; je lis énormément de polars, de romans historiques, de biographies, de fantasy, etc. Je suis plutôt du style à aimer des œuvres, des autrices et auteurs. Et si je n’accroche pas, je n’insiste pas.

La seule petite chose qui me chagrine en SF française, c’est qu’étant amateur de Hard-SF, nous n’avons, me semble-t-il, pas énormément d’autrices, ni d’auteurs dans ce domaine. J’avoue que je n’ai pas l’impression que nous ayons beaucoup d’équivalents à un Alistair Reynolds, un Stephen Baxter ou un Neal Stephenson, pour n’en citer que trois. Mais, ce n’est qu’une impression très personnelle ; je ne parviens pas à récupérer tout ce qui sort en SF à cause de mon éclectisme de lecteur.

Ceci ne m’empêche pas d’avoir découvert, au-delà de la dizaine de têtes d’affiche que tout le monde connait, des textes procurant un indicible plaisir, ce qui me fait dire, pour ce qui me concerne, qu’il existe d’excellentes plumes SF en France…

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